Artiste éminemment représentatif de la peinture d’histoire et de l’orientalisme, genres très en vogue au XIXe siècle, Jean-Paul Laurens (1838-1921) imprègne ses œuvres d’une dramaturgie destinée à illustrer son propos. Cette affiche publicitaire pour une liqueur produite à Carcassonne n’échappe pas à la règle. On y voit une embarcation naviguer sur un cours d’eau, probablement l’Aude. Au loin se dessinent les murailles de la cité médiévale de Carcassonne, surmontées par les flammes d’un gigantesque brasier. Les langues de feu illuminent la scène et colorent d’un saisissant rougeoiement jusqu’à l’eau du fleuve. Pourtant, Laurens ne figure pas ici un drame historique aux accents bibliques mais un événement plus récréatif : l’embrasement de la Cité de Carcassonne. Ce feu d’artifice fut organisé pour la première fois en août 1898 à l’initiative du poète, peintre et felibre Achille Rouquet (1851-1928), afin de célébrer l’arrivée des Cadets de Gascogne, compagnie réunissant d’importantes figures de la vie artistique, littéraire et politique. Le spectacle fut ensuite reconduit d’année en année. C’est Michel Sabatier (1851-1918), industriel local, qui finança l’embrasement. Ancien agent des impôts reconverti à la tête d’une distillerie, il est le "réinventeur" de la Micheline, liqueur dont l’affiche fait la promotion. Il aurait découvert ou obtenu copie d’une recette inventée au IVe siècle par un certain Michelin Boardo ou Boato. Le parchemin sur lequel était inscrit la recette se trouvait à l’intérieur d’un coffre d’argent découvert dans la Tour de l’Inquisition de la Cité médiévale au cours de fouilles archéologiques menées en 1856. Si cette belle histoire paraît quelque peu romanesque, il n’en reste pas moins vrai que la Micheline commercialisée par Sabatier connaît rapidement un grand succès économique, plaçant l’homme d’affaires à la tête d’une entreprise florissante. Comme beaucoup d’industriel de son temps, soucieux à la fois de son image et du développement économique, social et culturel de sa cité, Sabatier développe une activité de mécénat parmi laquelle figure le financement de l’embrasement de Carcassonne. Tandis que les mérites de la Micheline sont vantés sur la voile de la nef, le rôle de l’industriel dans la création de la liqueur et celle du spectacle pyrotechnique est rappelé sur la flamme flottant au sommet du mât et portant la dédicace "A Michel Sabatier". En y regardant de plus près, on s’aperçoit également que les bras levés des femmes de l’embarcation correspondent davantage à des toasts, verres à la main, et à une manifestation d’admiration face au spectacle, qu’à des gestes de supplication. Laurens parvient ainsi à détourner, non sans un certain humour, le caractère dramatique habituel à ses peintures.

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