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    L’imprimé des Décades de Tite-Live traduites par Bersuire : réception et transmission de la pensée antique au Moyen Âge.

    Dossier thémtique en lien : "Tite-Live en français : vers la première édition imprimée"

    Ce dossier thématique s’inscrit dans le projet LiBer, financé par l’ANR (n° 21-CE27-0008-01). Ce projet s’intéresse à la transmission et réception de la traduction en français Décades de Tite-Live traduites par Bersuire.

    L’exemplaire de la première édition imprimée de Tite-Live en français de la bibliothèque municipale de Lyon est unique. Annotations et dessins permettent de comprendre comment les lecteurs des XVe et XVIe siècles s’approprient leur livre, la nature de leur rapport à l'imprimé et l'oscillation entre recherche pure, familiarité et intimité totale. Les marques de provenance nous renseignent aussi sur la diffusion du livre : il y a une grande différence entre un livre légué aux descendants du premier acheteur et un livre vendu lors des premières difficultés financières.

    Les particularités d’exemplaires

    La bibliothèque municipale de Lyon a la chance de posséder un exemplaire de la première édition incunable en deux volumes des Décades de Tite-Live traduites en français par le bénédictin Pierre Bersuire : Rés inc 294, qui correspond à la deuxième décade et Rés inc 295, qui correspond à la troisième décade et contient la traduction par Jean Le Bègue des guerres puniques de Léonardo Bruni. La première Décade n’est pas imprimée dans ces deux volumes mais cela semble résulter d’un choix de l’éditeur, puis de l’acheteur plutôt qu’à une éventuelle perte, dispersion ou lacune. Les deux volumes ont une reliure d'époque très similaire, ce qui atteste qu'il s'agit bien du même exemplaire, et non de deux volumes aux histoires différentes, rassemblés tartdivment par les bibliothècaires.

    La reliure des deux exemplaires est en peau retournée et montée sur ais de bois, elle date de la fin du XVe - début du XVIe siècle. Pour les deux imprimés, les titres, respectivement « La secdde decade de tituslivi9 », et « La tierce decade de tituslivi9 / avec la guerre punicque. », sont indiqués sur la gouttière, dans une écriture du XVe-XVIe siècle. Sur les dos des deux exemplaires, une pièce de titre collée indique le nom de l’auteur, la date, ainsi que le titre (uniquement pour la Décade III). La tomaison est ajoutée à la main.

    L’exemplaire de la Décade III de la bibliothèque municipale de Lyon se distingue des autres exemplaires conservés, par la présence de la dédicace adressée à Jean le Bon et de la "déclaration des mots" au début de la décade. Ces additions méritent d’être soulignées et posent question, puisqu’elles sont censées figurer au début de la Décade I. En effet, l'exemplaire de Lyon est l’unique témoin de ces ajouts au niveau de la Décade III, d’après les numérisations et les notices consultées [note]. Cette singularité est sans doute due à la volonté de l’un des possesseurs, vraisemblablement du XVe siècle puisque ces éléments sont semblables au reste du texte du point de vue de la graphie, du papier, de son usure et qu’ils sont rattachés à cet ensemble par une reliure si ancienne qu’elle pourrait être la première qu’a reçue l’ouvrage. Plusieurs hypothèses peuvent être émises sur la place de ces pièces liminaires. La "déclaration des mots" étant un glossaire, il pourrait s’agir d’un ajout destiné à faciliter la compréhension, mais ce n’est pas l’hypothèse la plus probable [note]. En revanche, il peut s’agir d’une addition visant à combler le manque de la première décade, et à donner la sensation d’un ensemble complet. Voir le dossier "Tite-Live en français : vers la première édition imprimée".

    Plusieurs arguments viennent corroborer cette thèse : tout d’abord, ni la "déclaration des mots" ni la dédicace à Jean le Bon ne sont annoncées dans la table des chapitres des Décades. Ensuite, ni les feuillets ni les cahiers ne sont ici numérotés. Enfin, l’explicit indique : « Cy finissent les termes ou dictions du present livre qui nōt [n’ont] point de propre francois » sans préciser de quel livre il s’agit. Ces détails laissent penser que ces feuillets pouvaient être achetés séparément et ajoutés à la place voulue par l’acquéreur. C’est une hypothèse que seule l’étude systématique des autres exemplaires conservés permettrait de confirmer.

    Les nombreuses marques de possession sont une autre caractéristique de l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Lyon. La présence et le type d'annotations manuscrites dans un livre sont porteurs de sens. Lorsque nous possédons de nombreux livres, nous avons tendance à moins écrire sur chacun d'eux. La signature, synonyme de protection contre le vol, devient d’autant plus importante qu’on a moins de livres. Les nombreuses annotations que les anciens possesseurs ont apposées sur l'exemplaire de Lyon sont un indice de l’importance qu’ont eue ces deux volumes et de la façon dont ils ont été transmis. Le nombre de signatures datées des XVe et XVIe siècles, qui se présentent généralement sous la forme de phrases, laisse supposer que les plus anciens possesseurs de l’exemplaire lyonnais n’avaient pas une bibliothèque très fournie et accordaient une grande importance à cet ouvrage. C’est peut-être moins le cas pour les possesseurs plus tardifs qui ont laissé moins de traces.

    Ces images illustrent bien la le nombre important de possesseurs successifs. Ici, on voit les signatures de Chastillon père, Jacques Chastillon, Gaspart Geneves, Anthoine Milliet et Devillemoz. Il est probable que cet exemplaire a appartenu tout d’abord à un certain Chastillon, père de Jacques Chastillon. Ce dernier a hérité du livre, qui est ainsi resté dans la famille, signe de l’importance qu’il pouvait avoir. Par la suite, le livre a été transmis, probablement vendu, aux possesseurs suivants, sans qu’il soit possible d'en déterminer l’ordre précisément. Notons Anthoine Milliet qui indique son métier : « notaire à Lyon ». Il est possible que ce soit le même qui note plus tard « greffier des gabelles », charge plus honorifique. Dans tous les cas, une fonction moins élevée dans l’échelle sociale que celle de magistrat ou d’avocat. Dans ce contexte, comme le montrent la présence et le développement des ex-libris, l’acquisition de cet ouvrage a pu constituer une sorte de valorisation du possesseur, comme une forme de reconnaissance. il est difficile d'en dire plus sur les autres anciens possesseurs.

    Une utilisation nouvelle des Décades à travers un possesseur

    D’autres aspects matériels de l’exemplaire nous informent sur ses possesseurs. Les marques de possession ne sont pas seulement extérieures au texte. On trouve par exemple des annotations dans le texte imprimé notamment sur les passages relatifs à Hannibal. Mais on se penchera seulement sur les annotations d’un possesseur précis : Chastillon père. Les annotations qui lui sont attribuables se concentrent sur le chapitre : “Comment titus porcius catho parle de la loy oppienne quelle ne soit revocquee, laquelle loy fu faicte contre les femmes et cōtre leurs meurs qui sont du genre feminin ”. L’indication utilisée pour mettre en avant ce chapitre dans la table des matières est similaire à celle qui se trouve dans le texte.

    Les autres marques de lecture dans le texte sont surtout des manicules (petites mains dessinées dont l’index pointe un passage du texte), l’annotation nō et vid, qui signifie « noter et voir », et des parenthèses. Les passages soulignés se trouvent tous dans le discours de Caton. Les images des passages concernées sont à la fin de ce dossier. Ils sont tous en lien avec les femmes et se réfèrent à la Lex Oppia.

    Lex Oppia et débats

    Cette loi est établie dans un contexte de tension. Rome est menacée par les incursions d’Hannibal au cours de la seconde guerre punique. La ville prend la décision de restreindre les dépenses privées pour augmenter les contributions publiques. La Lex Oppia est promulguée en 214 av. J.C. Elle interdit aux femmes d’avoir sur soi et d’exhiber une quantité d’or supérieure à une demi-once, de porter des habits de couleur et de se déplacer en voiture dans la ville et en dehors à moins que ce ne soit à l’occasion de sacrifices publics. En 557, les guerres puniques sont finies, Rome est riche, les menaces sont loin, c’est pourquoi les tribuns de la plèbe proposent l’abrogation de la loi. Deux partis s’affrontent, celui du tribun Lucius Valerius qui prône l’abrogation de la loi et le consul Caton, qui lutte contre son abrogation en tenant un discours misogyne dans une posture hostile et moralisante. Il met en avant la nature passionnée et les excès des femmes. Pour lui, les femmes doivent s’occuper de leur foyer et non revendiquer leurs droits sur la place publique. Il indique que l’abrogation de la loi déstabiliserait Rome du point de vue législatif et social. Il prône l’éloignement des femmes des questions publiques. Il prône donc la distinction entre la sphère publique qui appartient aux hommes et la sphère privée qui tient du domaine des femmes. Ces débats révèlent en creux la participation des femmes à la vie publique dans la Rome républicaine : elles prennent la parole afin de revendiquer leurs droits.

    Ce qui est particulièrement intéressant dans l'exemplaire de Lyon, c’est le lien entre les annotations autour de la Lex Oppia et un sizain un sizain copié à la fin de la Décade III. D’après l’étude et la comparaison des écritures, les unes et l’autre semblent être de la même main, celle du premier possesseur, Chastillon père, et seraient donc proches de la première acquisition du livre, donc sans doute de sa date de publication. Ce sizain est le suivant [note] :

    Quant l’homme arme jouxtera sans harnoys

    Quant on jouera de la harpe sans doys

    Quant on donnera lescu pour ung tournoy

    Quant Lucifer viendra baiser la croix

    Et quāt enfer reluyra de beaulte

    Lors verrez vous en femme loyaulte

    Ces vers, excepté le premier, se retrouvent, dispersés, dans un poème misogyne anonyme : La Loyaulté des Femmes [note]. Le poème original tel qu’il nous est parvenu est constitué d’une cinquantaine de vers. Le sizain semble donc être une réécriture de Chastillon père, qui compose lui-même son poème en choisissant certains vers qu’il met dans un ordre nouveau [note]. Le fait que ce poème soit contemporain des Décades est important, puisque c’est à ce moment que se déroule la querelle des femmes. Il s’agit d’un débat politique, philosophique et littéraire, qui commence au XVe et s’étend jusqu’à la période moderne.

    La querelle des femmes

    Cette querelle est consécutive à la polémique de la fin du XIVe siècle et du début du XVe siècle autour du Roman de la Rose de Jean de Meun (écrit au XIIIe siècle). La polémique oppose Christine de Pisan et Jean Gerson à Jean de Montreuil et Gontier et Pierre Col. Christine de Pisan reproche à la deuxième partie du Roman de la Rose sa misogynie et son obscénité. En rappelant les destinées de femmes célèbres de l’Antiquité au Moyen Âge, la poétesse dénonce l’argument de ses adversaires sur l’incapacité physique et intellectuelle des femmes.

    Il faut rappeler le contexte dans lequel l’imprimé des Décades est publié et acquis par Chastillon : la bourgeoisie se développe et tente d’imposer sa conception étroite d’une vision de la femme, notamment en remettant en cause la place et la légitimité des femmes à exercer les mêmes rôles que les hommes dans la société. Les trois attaques centrales sont liées à l’amour et plus précisément au mariage, à l’éducation et enfin au pouvoir des femmes. Le but est de mettre en place un nouvel ordre social et politique au profit des hommes en excluant les femmes sous prétexte de leur sexe.

    D’autres exemples montrent une circulation à Lyon de poèmes en lien avec le débat sur le Roman de la Rose. Au contraire, on trouve à la fin d’un dossier comptable du consulat lyonnais de la fin du XVe siècle un autre poème qui prend la défense des femmes dans le cadre de la querelle du Roman de la Rose : Le Chevalier des dames. [note]. Ainsi les textes du débat du Roman de la Rose circulaient à cette époque dans le milieu lyonnais. Il est notable en outre qu’ils soient liés à des œuvres ou des professions juridiques. Cet élément peut permettre d’élargir la portée du débat, qui ne se limite donc pas à quelques personnages célèbres.

    Chastillon ne se contente pas de recopier un poème, il choisit certains vers dont il modifie l’ordre, se livrant à un véritable travail de composition. Comme il annote en outre un passage hostile aux femmes dans les Décades, on peut avoir une idée de sa position durant cette querelle, et même supposer de sa part un certain engagement dans le débat. En soulignant ces passages sur la Lex Oppia, il réutilise l’argument misogyne en le sortant du contexte romain, pour apporter sa pierre à une querelle contemporaine. Les paroles de Caton, figure d’autorité, lui fournissent un « lieu commun » au sens cicéronien d’argument, que ce soit dans une éventuelle plaidoirie ou simplement pour justifier son point de vue.

    Ainsi ces interventions du possesseur de l’imprimé aident à mesurer la portée qu’a pu avoir la traduction par Bersuire des Histoires romaines de Tite-Live. L’exemplaire conservé à la BmL nous éclaire en effet sur une réception étonnante de l’œuvre qui traduit un intérêt du lecteur pour un débat de son temps, et sur la place de Tite-Live comme autorité non seulement historique (histoire de Rome) mais aussi rhétorique : en effet, le premier possesseur souligne aussi les discours et les plaidoiries reproduits dans les Décades.

    Ce dossier thématique s’inscrit dans le projet LiBer, financé par l’ANR (n° 21-CE27-0008-01). Ce projet s’intéresse à la transmission et réception de la traduction en français Décades de Tite-Live traduites par Bersuire.

    Bibliographie

    Notes et liens utiles

    Pour citer cet article

    Référence électronique

    Manon Lotz, L’imprimé des Décades de Tite-Live, le témoignage d’une pensée. - Un imprimé particulier qui change de possesseurs au cours du temps, numelyo [en ligne], mis en ligne le 2023-06-08, consulté le 2024-05-14 12:34:51. URL : https://numelyo.bm-lyon.fr/BML:BML_00GOO01001THM001_TITELIVE02

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