Henri de Toulouse-Lautrec, maître de l'affiche
C’était au physique un des êtres les plus disgraciés de la nature, une sorte de Quasimodo qu’on ne pouvait regarder sans rire. Est-ce à cause de cela qu’il prit l’humanité en grippe et s’appliqua, pendant les quelques années de sa vie artistique, à déformer, caricaturer, avilir tout ce qu’il prit comme modèle ?
Ne pouvant espérer faire naître aucun sentiment, il se vengea de l’amour, s’acharnant à rendre ridicules, ignobles, crapuleuses ou trivialement obscènes les filles de Montmartre que d’autres auraient vues avec plus d’humanité et même une certaine pitié empreinte de poésie… ». C’est en ces mots cruels et peu nuancés que Jules Roques évoque dans Le Courrier français du 15 septembre 1901 la mort du peintre et affichiste, âgé de trente-sept ans seulement.
Souffrant d’une maladie osseuse responsable d’un physique disgracieux, Henri de Toulouse-Lautrec semble avoir voulu prendre une revanche sur le destin en menant une vie nocturne aussi intense que brève. Sa fréquentation des cafés et cabarets a donné matière à la représentation d’un monde festif à jamais associé aux noms des vedettes de la nuit parisienne tels que la Goulue, Valentin le Désossé ou Aristide Bruant. Il ne se limite pas pour autant au seul monde du spectacle. Il débute dans l’art de la lithographie et de l’affiche en 1891 et va produire en dix ans plus de trois cent lithographies : affiches mais aussi menus, cartes d’invitation, couvertures de livres…
Toulouse-Lautrec comprend parfaitement que l’affiche, vecteur avant tout commercial, est d’abord destinée à attirer le regard du passant. Il n’hésite pas pour cela à recourir à des procédés picturaux innovants : crudité des visages, déformation voulue pour rendre la figure plus expressive…
L’affiche doit s’imposer à l’attention des gens par des effets irrésistibles. Il apprend donc à supprimer le détail superflu. Le modelé disparaît pour des fonds de couleurs en aplat. Sa virtuosité lui attire la reconnaissance de ses pairs et Jules Chéret, l’un des plus célèbres affichistes de l’époque, consacrera le peintre de la nuit parisienne par ce mot définitif : « Lautrec est un maître ».